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Dessine-moi une embrouille
> Ca cartoone dans l'entreprise
Au fil de dessins que
j’ai réalisés sur une période d’une quarantaine d’années, un album intitulé Ca
cartoone dans l’entreprise caricature les situations de travail qui font le
quotidien d’une grande entreprise industrielle. Tout y est passé à la moulinette
: la vie en atelier, sur les lignes de fabrication ou en laboratoire,
l’informatique, la sécurité, les produits, les clients, les réunions, le
coaching anglais, les loisirs… rien n’est épargné. Politiquement correct
s’abstenir.
Comme le prétendent les Chinois, citant leur légendaire philosophe Confucius,
une image (un dessin pour ce qui nous concerne) vaut mille mots. Faites le
compte. Cet album représente un monstrueux volume en peu de pages, c’est une
anthologie qui retrace quarante années d’anecdotes dans une grande entreprise
industrielle, en l’occurrence l’usine sidérurgique de Fos-sur-Mer, qui changea
maintes fois d’identité depuis Solmer, son nom d’origine, au début des années
70.
Ah ! Les années 70, ces chères seventies. L’ère souveraine des émissions de télé
décapantes, du disco, des pattes d’eph et des hebdomadaires bêtes et méchants.
Dans son canard rabelaisien, le professeur Choron enseignait un humour sans
bornes, bousculant les préjugés sans ménagement. Pas de chatouilleux pour
s’offusquer des caricatures qui ornaient la une des journaux satiriques. La
plume caustique de Gotlib ou le trait corrosif de Reiser dressait sans vergogne
les excentricités d’une société post-soixante-huitarde en pleine renaissance. La
télévision était encore regardable, elle vous rentrait dans le lard, on s’y
exprimait la clope au bec, avec virulence et sans pudeur, les vannes fusaient,
éclaboussant le téléspectateur qui n’avait qu’à bien se tenir. On savait rire en
ce temps-là, ma bonne dame.
C’est à cette époque, bénie ou maudite (selon les divergences), que remontent
les plus anciens dessins de ce livre. En 1976, j’intégrais le laboratoire de
l’aciérie, après une année à marcher au pas dans une caserne d’un autre âge,
c’était à Châlons-sur-Marne. Pas de téléphone mobile, pas d’ordinateur, pas
d’imprimante, pas de souris et par conséquent pas de tapis de souris non plus.
Ca vous épate ? Mon jeune ami, je vous parle d’un temps que les moins de vingt
ans ne peuvent pas connaitre, comme le chante si savoureusement le chanteur
canonique.
On faisait tout à la main, y compris les cliparts, ces petits dessins qu’on
trouvera par milliers sur les cdroms bien des années plus tard. Je prenais un
bloc-notes, une pointe bic et sur le coin de la table du petit réfectoire du
labo, je partais dans d’infâmes grigris à travers des estampes licencieuses que
rigoureusement ma mère m’a défendu de nommer ici. Ca, c’était pour amuser la
galerie. Lorsqu’il s’agissait de dessins plus sérieux, représenter une scène de
travail, visualiser un projet, il convenait de ne pas dépasser la limite que la
morale réprouve. Or j’étais constamment à la limite de cette limite, dessiner
était pour moi une belle occasion de faire rire. Quand on a passé une partie de
son adolescence le nez plongé dans le journal Pilote, ça laisse des séquelles. A
tout propos, à tout moment, je dessinais, donnant libre cours au crayon, au
feutre, à la craie, à tout ce qui me tombait sous la main. Ca finissait par se
savoir et dépasser les frontières de notre tour de Babel planquée à l’ombre de
la monumentale silhouette de l’aciérie.
Après onze années de bons et loyaux services à analyser des échantillons
d’acier, ma modeste carrière de laborantin consciencieux amorçait un virage
inattendu. On m’appelait sous d’autres latitudes. Le rédacteur en chef du
bulletin d’information d’un département de l’usine s’apprêtait à partir en
retraite et je fus désigné comme successeur. Travailleur posté, j’allais devenir
un journalier, un bureaucrate. Grâce à mes petits mickeys, une opportunité
s’ouvrait. Le big boss, rigoureux et austère au point qu’il en faisait frémir
ses collaborateurs, s’était trouvé tout hilare à la vue de mes comics. Pour lui,
je répondais au profil. La perspective de donner libre cours à ma plume dans une
feuille de chou dont je serai en même temps le rédacteur me remplissait
d’allégresse. Je m‘en occuperai pendant une décennie jusqu’à l’apparition du
web, à la fin des années 90, après quoi les dessins se feront plus rares.
Des années 1987 à 1998, la production de cartoons fut assez soutenue. La
notoriété faisant, je dessinais pour tous les services de l’usine, fabrication,
administration, informatique, et en particulier pour le GIP (Groupe
d’Intervention et de Protection) qui appréciait un type d’humour décalé sur
mesure dont il pouvait profiter. Le message devait être percutant, "lâche-toi,
précisait-on, dessine-moi un type avec latête sous le bras." Il ne fallait pas
me le dire deux fois. Dans le domaine de la sécurité, la demande était
régulière. La fréquence des dessins était parallèle à la diffusion des règles et
des consignes. Ils se poursuivront jusqu’à nos jours avec l’apparition de
figures devenues plus sages avec le temps… quoique.
En 1980,
l’humour battait son plein à longueur de supports d’information. On alla jusqu’à
solliciter Franquin pour sensibiliser le personnel de l’usine aux accidents du
travail. De cette précieuse collaboration, fut éditée une bande dessinée de 32
pages Gaffes à Solmer qui fut distribuée aux employés. 32 situations critiques
et caustiques, avec un Lagaffe local dans le rôle principal. Par la suite,
Gaston deviendra la mascotte indétrônable du chef de département Métallurgie
Qualité.
Dans Ca cartoone dans l’entreprise, les dessins sont classés par thèmes plus que
par dates, il eut été fastidieux d’en établir la chronologie, remettons-nous aux
événements auxquels ils se rapportent. Ils sont livrés en vrac, en l’état, épars
comme dans un carton à dessins. Ces pages ne rassemblent qu’une partie de mes
croquis, les autres sont restés à l’état de brouillon, incomplets, bâclés ou
irrémédiablement gommés car dessinés au velleda sur un tableau blanc fixé près
d’une machine à café. Dessins quotidiens, caricatures des collègues en
situations toujours embarrassantes, rire collégial pour des esquisses précaires,
pour un art éphémère qu’un chiffon véloce efface à jamais.
Le nerf qui relie tous ces dessins est l’humour, ingrédient indispensable au
message, à la publicité, à la communication, aux échanges, aux relations. Car
l’humour invite à la détente, il permet parfois de se sortir d’une position
inconfortable. Le rire est salutaire, c’est une médecine puissante, à condition
d’en accepter le remède. A ce titre, des personnalités telles que Desproges,
Coluche, Bigard, Devos, Benny Hill, Mister Bean, et tant d’autres humoristes,
sont de grands docteurs. Ils nous enseignent de ne pas se prendre au sérieux.
Jamais.
Si on se tapait davantage sur le ventre dans les Etats-Majors et entre les
peuples, on connaitrait peut-être la paix sur la Terre. Savoir rire c’est savoir
vivre. Et inversement.
Quelques dessins
Scène d’atelier
Visite médicale
Un projet de robot qui est resté dans l’œuf
Réunion houleuse
Un laminoir maison
La dame de fer ("Il doit bien rester quelque chose")
Le stress. Version couleur
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